2ème sommet des Alpes occidentales par l'altitude, la pointe Dufour porte surtout un nom qui devait forcément m'y attirer un jour ou l'autre...
C'est enfin chose faite ce 10 juillet 2010, avec brio ! Toutes les photos
Mes 2 compères Christophe et Romain ont d'abord été gravir le Mont-Blanc l'an passé, après une préparation au Pollux, Castor et Breithorn. Cela a déjà été une belle aventure, car la météo nous avait réservé un court créneau que nous avons su saisir grâce à une certaine souplesse. Cette année le projet du Mont-Rose leur tenait à cœur, avec le même concept de passer 2 nuits en altitude pour mettre les meilleures chances de leur coté. Nous avions aussi effectué la traversée des Dômes de Miage la semaine d'avant et ils étaient allés s'acclimater en amateur, au Breithorn (4153 m).
Le nouveau refuge du Mont-Rose situé versant suisse (Monterosa) était rapidement complet, ce week-end étant réservé à son inauguration ! C'est donc depuis l'Italie que j'avais choisi de tenter l'aventure : nuit à Cita di Mantova, puis départ très matinal pour le sommet, retour et nuit au refuge Margherita, le plus haut refuge gardé d'Europe. C'est une voie d'ascension qui n'a plus du tout le caractère tranquille de la randonnée glaciaire ! Cotée AD-, elle présente sur plusieurs centaines de mètres une arête parfois très aiguisée en neige, puis des passages rocheux ou mixtes assez faciles (niveau III max) mais nécessitant une bonne concentration, et parfois impressionnants. Le tout est situé toujours au dessus de 4500 m...
En outre, une fois au sommet, il faut redescendre par le même itinéraire, avec en final la remontée à la pointe Zumstein depuis Grenzsattel, qui sur 100 m présente une arête fine et raide demandant d'avoir gardé toute ses capacités.
C'est donc ce qu'on peut appeler un itinéraire "engagé". Une fois lancés, pas question de faire facilement demi-tour, et l'arête n'offre pas beaucoup d'abri : il faut donc garder un rythme et bien sentir les conditions, tenir un horaire pour que les conditions météo et de neige n'évoluent pas trop. C'est cet aspect là, et aussi l'enchaînement de passages aériens, qui marquera mes compagnons.
Après un accès assez long depuis le refuge Cita di Mantova (3470 m), nous avons pris pied à la pointe Zumstein (4563 m) à 6h30, au dessus d'une magnifique mer de nuages sur la plaine italienne. Le temps s'annonce plutôt beau, mais encore très chaud avec une tendance orageuse. De la "Zumstein", la vue est impressionnante sur les arêtes du Mont-Rose. Je ne laisse pas mes compagnons se poser trop de questions et nous descendons avec précaution cette arête de neige fine, avec des lignes bien fuyantes de chaque côté... La neige a bien regelé, la trace est bonne et c'est sans grande difficulté mais très concentrés que nous enchaînons les passages majoritairement neigeux du début de l'itinéraire. Plus loin l'arête se redresse et devient surtout rocheuse : cela me rassure car l'assurage au moins sera "béton". Romain me demande si le sommet est celui que nous voyons au dessus (Ost Spitze) : "non Romain, c'est derrière !" Mais globalement nous avançons bien, je ne suis pas inquiet, je dois juste gérer un peu le taux d'adrénaline de mes compagnons car ils ne s'attendaient pas vraiment à ça...
Nous arrivons donc en vue du sommet, mais quelques passages rocheux demandent encore des efforts, surtout avec les crampons que nous avons gardés tout du long (il y a des petits passages en neige encore dure, un peu partout). A 9h, nous rejoignons enfin la croix (4634 m); je suis heureux de faire ce haut sommet au patronyme élégant !
Romain et Christophe ne se lâchent pas, ils restent un peu nerveux car ils savent cette fois quel sera le retour... C'est le cas parfois sur des courses qui dépassent un peu notre niveau "habituel", l'appréhension peut prendre le dessus sur d'autres sentiments. Mais je sais que le plaisir viendra plus tard pour eux. Quelques photos, nous observons d'autres cordées venues de Suisse qui basculent sur la "selle d'argent", puis nous repartons vers 9h30. Les hauts sommets sont légèrement accrochés par moment, mais on n'observe pas de mauvais nuages, je ne m'inquiète pas pour la météo.
En fait nous descendons très bien et assez vite les parties rocheuses, mes compagnons progressent à vue d'œil, et au pied de la dalle en II/III, un généreux soleil nous trouve assez détendus. La vue sur le versant Est du Mont-Rose, la vallée de Macugnaga, est sidérante : ce versant de 2000 m est l'un des plus hauts des Alpes, et avec le soleil du matin on entend toutes sortes de bruits plus ou moins inquiétants.
C'est l'heure de terminer par la partie neigeuse, qui risque d'avoir déjà chauffé pas mal. Heureusement les passages les plus raides sont orientés Nord ou Ouest, ça devrait aller...
Je trouve d'abord le moyen de rester sur les arêtes, mes clients en contrebas dans la trace sont ainsi bien assurés. Mais après le Grenz sattel, la remontée à la Zumstein va représenter le passage le plus dangereux de la journée : 100 m dans une trace plutôt correcte mais majoritairement faite à la descente, donc aux marches hautes, avec à gauche une très légère "dentelle", complètement pourrie par le soleil. Heureusement la trace est faite sur le bon versant (à l'ombre), et encore portante, mais un écart serait sans appel. Je ne cesse de parler à mes 2 compères pour qu'ils fassent très attention, et je suis tendu sur mes anneaux. Plus tard ils me diront que ce passage aurait pu nécessiter un seul client, pas deux : oui, bien d'accord avec eux ! Mais notre profession nous met parfois dans ce type de situation délicate, il faut faire avec. A ce moment chacun porte avec lui la responsabilité de la cordée, le guide saura faire le maximum en cas de déséquilibre, mais l'issue pourrait être incertaine...
Donc gros soulagement au sommet de la Zumstein, que nous avons quittée 5h30 plus tôt : il est midi pile. Romain n'en revient pas de ce que nous avons fait : "on s'est mis une race !" Expression imagée d'un expert de karaté, qui découvre une autre manière de chercher ses limites, avec un profond aspect mental, un engagement physique au sens propre : l'alpinisme.
Plus tard nous passerons l'après-midi et la nuit dans la cabane Margherita, plus haut refuge gardé d'Europe (4554 m) : un peu dans les nuages ! Sensation d'irrél, d'un moment étrange au-dessus de nos vies d'humains grégaires. Tout est blanc autour de nous, les nuages bourgeonnent en dessous...
Le lendemain, et comme il fait encore beau, la cerise sera d'aller faire 2 beaux sommets de 4000 m, faciles d'accès depuis le refuge : Parrotspitze (4432 m) et Ludwigshöhe (4341m), pour s'offrir encore quelques heures de plus dans cet environnement d'exception.
Merci à mes 2 compagnons de cordée...