Ce texte a été écrit par Guillaume quelques jours après notre ascension du Mont-Blanc en été 2022. Guillaume est l'un de mes clients les plus proches car il est dijonnais comme moi et partage la même approche de la montagne. Je dis "client" mais ça me fait drôle car on est bien plus que ça, comme souvent d'ailleurs dans mon métier, on dépasse bien souvent le rapport professionnel.
Après la lecture de son texte et un temps de réflexion, je lui ai proposé de le publier et il a gentiment accepté, merci à lui.
On y lit le déroulement de la préparation avant l'ascension avec l'ami Brice et le fils de Guillaume, Augustin, tous les deux encore novices en haute-montagne.
Puis l'ascension du Mont-Blanc avec Guillaume en 3 jours depuis l'Italie. Dans ce texte il y a plusieurs anecdotes intimes qui seront sans doute difficiles à comprendre du grand public ;-)
Je trouve ce texte très émouvant et retraçant très bien les états mentaux parfois contradictoires qui précédent une course en montagne, états exacerbés par la difficulté de la course et l'enjeu personnel qu'on peut y mettre. Au-delà de cette approche, on voit bien aussi dans ce texte que nos parcours en montagne nous confrontent violemment à notre perception de nous-même, nos aptitudes, nos rêves réalisables ou pas, et tout cela dans un bain plus ou moins conscient et complexe de rapport aux autres, à nos proches mais pas uniquement.
A la première lecture du texte de Guillaume, j'avoue avoir été un peu gêné par mon approche relativement froide de son ascension, je m'en suis voulu de n'avoir pas été autant à l'écoute et réactifs à ses états physiques et psychologiques dont son texte témoigne. Je me rassure tant bien que mal en pensant qu'il n'a pas exprimé aussi clairement ses sensations sur le terrain, tout en me disant que l'une des qualités requises pour mon métier de guide est de déchiffrer les états de nos compagnons sans forcément qu'ils le verbalisent !
Mardi 14 juin
Rendez-vous à 7h30 avec Olivier, notre guide, à Praz Sur Arly. Direction les Lanchettes au fond de la vallée des glaciers. Nous attaquons la montée au refuge vers 9h50. Il fait grand beau et on sent bien que la température va monter en plaine. C’est le début d’une période de canicule sur la France.
Très belle montée, au milieu des torrents et des alpages. Nous pique-niquons au refuge puis Olivier décide de nous faire monter au col du Tondu (2855 mètres) puis jusqu’à 3000 m en direction de l’aiguille des Lanchettes. Superbe vue sur le bassin de Tré la tête. Le glacier fait peine à voir. Un lac est en train de se former. Nous nous posons quelques minutes au lieu-dit le gîte à Brice.
Retour au refuge vers 16h30. Fin d’après-midi tranquille en refuge comme je les aime. 18h30 repas. C’est l’anniversaire d’Olivier (52 ans). J’ai monté une bouteille de Gevrey-Chambertin 1 er cru « Combe aux Moines » 2019 de chez LECLERC. Nous sommes au refuge avec deux autres guides et leurs clients. Deux font le tour du Mont-Blanc par les glaciers les trois autres (un père et sa fille) font également l’ascension du Dôme du glacier le lendemain. Et avec des randonneurs sur le tour du Mont-Blanc car le refuge Robert Blanc est une variante du TMB. Brice ronfle toute la nuit. Comme il le dira le lendemain. "Je ne sais pas qui c’est mais il y a un con qui a sifflé toute la nuit..."
Mercredi 15 juin
Lever à 3h45, petit déjeuner à 4h.
4h45 nous partons sous une lune pleine, direction la brèche au-dessus du refuge pour rejoindre l’arête qui nous mènera au Dôme. Passage en neige un peu raide. Je ne suis pas très à l’aise. Nous attaquons cette arête très agréable vers 5h55.
Quel bonheur d’évoluer sur cette arête avec mon grand garçon. Il y a 16 ans il tenait presque dans une seule de mes mains et aujourd’hui nous sommes encordés à plus de 3000 mètres. L’arête est sèche aussi nous enlevons les crampons. Nous passons par la pointe des Lanchettes (3085 mètres), le col des glaciers et le col du Moyen-Âge avant d’attaquer la partie finale du Dôme tout en neige. Physiquement difficile pour Brice et Augustin qui a un peu mal aux cuisses.
Le sommet (3592 m) atteint, nous chantons joyeux anniversaire à Olivier. Visio avec Arnault. Redescente par le glacier entre les crevasses. Brice tombe même dans une crevasse, non, plutôt dans une poche de neige gazeuse comme nous le précise Olivier.
Retour au refuge. Repas top. Le gardien est un véritable chef. Cette pause gastronomique nous permet d’échapper à l’averse orageuse. De beaux éclairs jaillissent sur la Plagne et les Arcs. Nous redescendons vers la vallée en glissant sur les névés. Brice y laisse la semelle de sa chaussure droite. Olivier lui répare avec une sangle élastique de sac. Le matériel de location fourni par le pingouin est à la hauteur de sa réputation. Merci François !
On s’arrête au Cormet de Roselend pour tremper les jambes dans le ruisseau à 5 °C. Arrêt à Fontanus pour coller un sticker Gays Friday sur le panneau du lieu-dit. Brice se charge de l’acte de vandalisme pendant qu’Augustin fait le guet. Pour le retour à Praz, je passe le volant à Olivier car je pique du nez. On va rendre les chaussures de Gus avec Brice. Bière à la Bergerie au retour. On réserve pour le soir pour une bonne raclette.
A propose de cette course Olivier DUFOUR écrira : "On dit souvent qu’une belle ascension conjugue un projet (Le lieu, la voie, le refuge.), des participants (la qualité humaine de la cordée) et des conditions (la météo, le terrain) : cette fois (encore) tout était parfait ! Merci Guillaume." Ces moments en montagne entre amis et maintenant avec mon fils sont un vrai régal. Quel bonheur d’évoluer ensemble, rassemblés par une même corde dans ces lieux magiques.
Avant de repartir, Olivier et moi faisons le point sur la suite des événements. La météo prévue pour le week-end suivant est encore incertaine. Une perturbation doit arriver par l’ouest. Je confirme à Olivier que quoi qu’il arrive, j’irai dormir à Torino vendredi soir. Le refuge est réservé et j’ai déjà payé l’aller et retour en téléphérique. Nous fixons un point météo samedi.
Vendredi 17 juin
Je prends la route vers 13 heures direction l’Italie pour aller passer la nuit à Torino. La benne du SkyWay qui me monte à plus de 3000 mètres est presque vide. Je connais cet endroit mais le fait d’y être seul me gâche un peu le plaisir. L’anxiété est bien là. L’appréhension de cette nouvelle tentative me travaille il faut bien l’avouer.
Par moment, j’en suis presque à espérer que la météo va franchement se dégrader. La minute d’après j’arrive à me raisonner, à envisager le côté exceptionnel de la chose et j’arrive à me réjouir de l’aventure à venir. Puis à nouveau l’angoisse m’étreint.
Pour chasser ces montagnes russes, je vais au bout des choses. J’imagine le coup de fil à Olivier pour lui annoncer que non, je ne peux pas monter. J’ai très envie d’y aller mais c’est trop pour moi. Ce coup de fil, je sais que je ne le passerai jamais bien évidemment. Je sais que c’est la solution que me propose mon esprit angoissé. A plusieurs reprises dans mon existence et pour toutes sortes d’échéances, j’ai eu cette voix qui m’incitait à la fuite, à la couardise.
Mais il y a l’autre voix, celle qui (me) porte le plus souvent plus fort et plus loin que l’autre. Je dis bien "le plus souvent" car pour être tout à fait honnête avec moi-même je sais bien au fond de moi qu’il y a quelques fois où ce n’est pas la voix du courage qui l’a emporté. Et le souvenir de ces quelques moments de lâcheté dont je ne suis pas fier, m’est désagréable.
Et c’est pour ça que je sais au plus profond de moi que je serai dimanche au rendez-vous que me fixera Olivier tout en espérant que le temps tourne au mauvais... L’affrontement de ma volonté allié à ma raison face à ma couardise ne fait que commencer. Il va me travailler encore un peu plus de 24 heures et cessera aux Houches, sur le parking de Bellevue, au moment précis où Olivier me dira "Salut Guillaume !".
Je monte jusqu’à la terrasse de la pointe Helbronner où je fais quelques pompes pour activer mon palpitant et forcer mon organisme à réagir au stress de l’altitude. Je mesure bien la chance que j’ai d’être seul sur cette terrasse, au milieu des montagnes avec ce Mont-Blanc qui me domine, me fascine, m’attire, m’angoisse. Je dîne au deuxième service de 19 heures puis je profite des vues sur les sommets alentours et du coucher du soleil.
Je vais me coucher dans un dortoir au second étage. Les réveils de alpinistes successifs m’empêchent de dormir entre deux rounds de mon combat intérieur.
Samedi 18 juin
Je me lève à 6h15 et attends mon petit déjeuner à 7h. Je remonte à l’observatoire de la pointe Helbronner pour faire un peu d’exercice. Olivier m’avait dit que je pouvais aller jusqu’au col du flambeau "s’il n’y a pas de crevasse". Je lui avais répondu que je ne sentais pas de marcher seul sur le glacier. Au final j’ai bien fait car au retour (le mardi 21 juin) nous constaterons que le glacier était bien crevassé.
Je redescends par le SkyWay, repasse le tunnel avec l’abonnement 10 trajets acheté hier. Le douanier fait un peu de zèle et m’arrête quelques minutes pour vérifier ma carte d’identité. Retour à Praz, déjeuner, sieste. Puis une petite balade dans le village et au pied des pistes pour me changer les idées. Je passe aussi à la pharmacie acheter des pastilles pour la gorge.
À Dijon c’est le concert des chorales Aurélie m’envoie des vidéos du concert et des enfants qui me font beaucoup de bien. Je me couche assez tôt car demain le rendez-vous est à 6h aux Houches parking du téléphérique de Bellevue. Olivier me dit qu’il faut optimiser les sacs. Je range l’appartement au maximum pour gagner du temps au retour. Je suis content de voir ces deux jours se terminer.
J’ai hâte d’être dans l’action.
Dimanche 19 juin
Lever à 4h15. Il fait beau. Petit-déjeuner, douche. Je prends la route pour les Houches j’arrive au parking du télécabine de Bellevue à 5h45.
Des gens dorment dans leur voiture. Olivier ne tarde pas. Il gare sa voiture et m’offre le tirage de la photo encadrée de l’arête des Lanchettes avec Augustin Brice et moi. Quel cadeau ! Qui me touche énormément...
Puis nous prenons la route pour l’Italie. Passage du tunnel sans encombre. Nous prenons la direction du Val Vény. Après la Visaille nous montons jusqu’à la barrière où d’autres voitures sont déjà garées. Nous redescendons d’une centaine de mètres pour trouver une place le long de la route. On peine à trouver un gros caillou pour caler la roue. Nous nous prenons en photo pour envoyer à Pascal qui était des deux premières tentatives. Plus compliqué pour lui de venir cette année puisqu’il vit sur l’île de la Réunion.
Et puis c’est le grand moment, je ferme le camion, je mets mon sac sur les épaules et c’est parti. Je commence mon ascension du mont Blanc.
Nous sommes à une altitude de 1700 m environ, 3100 mètres nous séparent du sommet. Pour aujourd’hui l’objectif est le refuge Gonella à 3070 mètres d’altitude.
Nous passons devant la cabane du Combal (1968 m) où nous croisons trois alpinistes avec un chien et d’énormes sacs. Même le chien porte ses affaires. Nous comprendrons plus tard qu’ils ont bivouaqué sous tente sur le glacier à environ 2500 m d’altitude. Nous trouvons la trace de leur tente auprès de laquelle, sous nos yeux, viendra s’échouer une roche de 10 m³ soit environ 30 à 40 tonnes de granit. Nous l’avons vu glisser depuis les pentes de l’aiguille de Tré la tête.
Globalement, ça dégringole sec dans le secteur. Nous cheminons au sommet de la moraine rive droite. C’est assez abrupt de part et d’autre et surtout comme le veut l’adage bien connu "il ne faut pas se la coller car on a vite l’air con en montagne...".
Un groupe de jeunes bouquetins nous précède quelques temps avant de prendre la tangente. Nous descendons sur le glacier qui ne ressemble qu’à une rivière de roches. Le cheminement n’est pas si difficile et presque ludique. Nous conversons avec Olivier, lui devant, et moi 10 à 15 mètres derrière. Nous faisons quelques pauses photo.
Devant, deux cordées nous précèdent. Derrière, nous devinons six silhouettes sur la moraine avant de les perdre de vue sur le glacier. Ces deux futures cordées de trois personnes réapparaîtront tout à coup, 50 mètres derrière nous, quelques hectomètres avant d’arriver sur la partie en neige et crevassée du glacier.
Avec Olivier, nous nous encordons à ce moment-là. Règles de sécurité de base sur un glacier. Le groupe de six a fait un autre choix : short, baskets (pour les clients). Les guides, eux, sont en "grosses". Ils vont vite car ne s’encordent pas. Olivier ne trouve pas ça très carré d’emmener des clients sur un glacier crevassé sans s’encorder. "C’est quand
même bizarre...", bel euphémisme.
Ils nous saluent et nous déposent. Arrivée à la cote 2500 environ, nous obliquons sur la droite pour attaquer les choses sérieuses du jour. Passages raides sur un pilier sous les Aiguilles Grises. Le chemin est bien balisé, équipé de cordes fixes, d’échelles métalliques inquiétantes. Nous croisons des cordées qui redescendent du sommet réalisé ce matin certainement. Nous en dépassons d’autres. Un groupe de Polonais a décidé de s’arrêter pique-niquer sur la trace...
Nous arrivons au refuge. Nid d’aigle. Le spectacle alentours est extraordinaire. Perché à plus de 3000 m dans ces contreforts du Mont-Blanc que je n’ai pas l’habitude de voir. Endroit sauvage et préservé, je profite de l’emplacement du refuge. Pour plusieurs raisons, Gonella est moins simple à atteindre que le refuge du Gouter, son équivalent français. La conséquence c’est qu’au lieu d’être 120 ce soir au diner, nous ne serons qu’une petite trentaine. Sur ces trente personnes, nous ne serons qu’une quinzaine à partir pour le sommet demain matin. Les quinze autres dorment ici ce soir car ils ont fait le sommet ce matin.
Nous en croisons certains qui descendent péniblement le glacier. Leurs visages sont marqués, il faut dire qu’il est tard. Certains arriveront même jusqu’à 15 heures. Trop grosse journée sachant qu’ils sont partis vers minuit et demi.
Olivier, lui aussi, vient pour la première fois à Gonella. Nous posons nos gros sacs, nous nous restaurons et Olivier insiste pour aller voir la descente sur le glacier qui nous attend demain matin.
Dans le compte rendu que je lis et relis depuis quelques jours sur le site de la Chamoniarde, un guide relate sa tentative d’ascension avec deux clients la semaine passée. Il se dit impressionné par le début de la course et cette traversée pour rejoindre le glacier qui exige tout de suite un maximum de concentration. C’est d’ailleurs ce que me dira Olivier le lendemain matin "soyons concentrés dès le départ".
Après cette petite reconnaissance, nous allons faire une sieste bien méritée dans ce joli refuge. Nous avons deux lits superposés, moi en bas, Olivier au-dessus. Le refuge a été rénové il y a seulement quelques années et il est très agréable. Après ce temps calme, nous nous posons sur la terrasse où nous profitons de cette ambiance extraordinaire. Olivier dévore mon petit paquet de crocodiles Haribo qui a un peu souffert de la chaleur. C’est à présent, un amalgame multicolore gélatineux.
Le dîner est à 18h30 et le petit déjeuner à minuit. En attendant le dîner (car nous avons les crocs) nous discutons un peu avec les autres groupes. Le fameux groupe de six se compose de deux cordées de trois personnes avec à leur tête un guide. Les guides sont jeunes. Les clients sont quatre amis, jeunes eux aussi, trailers... C’est d’ailleurs ce qu’un des guides répond à Olivier quand il lui demande s’ils sont bien acclimatés "ils sont trailers, ils ont la caisse, ça devrait aller". Olivier me regardera avec un sourire en coin...
Après un très bon dîner servi par une équipe souriante, nous allons nous coucher en espérant faire deux cycles de sommeil. Il est 20 heures environ et le réveil est à 23h45. Je m’allonge sur ma couchette en pestant contre les alpinistes qui pensent que le dortoir est un salon où l’on cause. Malgré mes boules Quies je les entends parler. Au final je pousse un "shuuuut ! " rageur et ferme les yeux.
J’arriverai à dormir avec un seul réveil vers 21h45. Ah, les nuits en refuge... où l’excitation, le stress, l’appréhension et l’importance de la course t’empêchent de dormir. Tout ça conjugué à l’altitude fait que je ne suis pas mécontent de mes deux heures et demie de sommeil.
Lundi 20 juin
C’est le grand jour ! C’est aujourd’hui, au cours d’une splendide balade avec un ami que je dois atteindre le sommet du Mont-Blanc.
Petit déjeuner vite avalé. L’équipe du refuge est là, au complet. Ils iront se coucher sitôt le dernier alpiniste parti. Nous nous équipons (crampons dès la terrasse du refuge). Nous sommes encordés pour négocier les premiers passages exposés.
Nous partons les premiers mais rapidement les trailers nous rattrapent et nous doublent. Il fait nuit noire, seule ma frontale éclaire de temps à autre un sérac ou une crevasse. Nous rattrapons les trailers grâce à un style plus fluide et plus régulier. Le guide remonte les bretelles de l'un d'eux qui a l’air d’en baver... En plantant un bâton dans un passage assez raide, il reste coincé dans la neige molle. C’est le guide de la cordée que nous dépassons qui le récupère et me le redonne. Le regel est médiocre, il fait relativement chaud, j’enfonce par endroits et je laisse beaucoup d’énergie dans cette montée. Il fait chaud pour l’altitude à laquelle nous évoluons. Je chauffe et transpire beaucoup. Je repense au petit sourire en coin d’Olivier à table hier soir. Je sais qu’il va mettre un point d’honneur à arriver en tête au col. Je commence à comprendre que cette journée va durer deux jours (voir même trois me dira Olivier).
Après un dernier effort, nous arrivons en tête au col... Bien en sueur, j’enfile ma Goretex. J’ai les pieds mouillés. Et oui, on ne remonte pas un glacier impunément. Nous trouvons le gel au piton des italiens (4002 m), suit une arête mixte avec quelques passages rocheux sans difficulté. Nous y trouvons une sorte de boîte aux lettres comme sur le Mont Afrique. Sauf que nous sommes à 4000 m d’altitude avec un sac à dos. Mais le passage est très court.
Seules les frontales d’un français et de son guide allemand nous suivent. Pas longtemps. Sur l’arête qui nous mène au Dôme du Goûter, nous les "déposons".
Cette arête étroite sera le crux mental de ma randonnée. Le vent est bien là comme annoncé (80 km/h) mes premières couches mouillées de sueur me refroidissent. J’ai froid aux pieds qui me semblent être de pierre. En fait je ne sens plus mes pieds. Je m’en rends compte au moment où sur ma gauche je vois, 3000 mètres sous moi, Sallanches illuminé. Je pense à ces gens qui dorment au chaud dans leur lit. Et forcément je me pose la question "mais qu’est-ce que tu fous là ?".
Il est 4h18 on boit le thé. C’est vraiment à cette heure, où le sommeil nous rattrape, que j’en ai le plus bavé mentalement. En toute humilité, cette traversée ne m’a pas posé de problème physique, de problème de conditions d’acclimatation ou de préparation. C’est sur cette arête, à 4h du matin que ce fut le plus difficile pour moi. Un véritable combat mental. Combat avec moi-même.
Je sais que je suis aux portes de lieux mythiques : Dôme du Goûter, abri Vallot, arête des Bosses et bien sûr le sommet du Mont-Blanc. Nous continuons à avancer d’un bon pas. Nos compagnons du refuge Gonella sont loin derrière à présent. J’ai deux morceaux de bois au fond de mes chaussures. Olivier me rassure : "nous ne sommes pas bloqués dans des conditions telles que tes pieds pourraient geler. Il ne fait pas assez froid. Tu as déjà eu froid aux pieds comme ça en faisant du ski. On ne te coupera pas de doigts de pieds". Cela a le mérite de me rassurer. J’oublie mes pieds pour l’instant nous verrons bien, plus tard.
Comme nous passons 70 m sous le sommet du dôme du Goûter Olivier pense qu’il est important d’y aller. Car premièrement c’est un vrai 4000 et deuxièmement il est trop souvent délaissé par ceux de la voix normale française. Le dôme du Goûter est un endroit reposant à ce moment-là dans mon esprit. C’est presque plat, c’est vaste comme plusieurs terrains de football. Nous rejoignons la trace qui arrive du refuge du Goûter.
Face à moi, le mythe. Une brève descente puis la remontée sur Vallot à 4365m. Olivier m’a prévenu : "On va s’arrêter à Vallot, mais pas longtemps. Tu vas trouver qu’il fait chaud, mais non. Il n’y a plus le vent c’est tout. Vallot c’est un frigo, un cube en métal. Il fait 0°, si ce n’est pas moins. Les vieux guides nous le disaient, Vallot c’est un piège. Faut pas y rester longtemps sinon tu sors et tu redescends. On y reste maximum 30 minutes".
OK, c’est noté. 30 minutes pour se refaire la cerise. Manger, boire du thé, mettre une couche supplémentaire. Je me prépare à ce qui va se jouer dans cette boîte. Je sais déjà que si je ne monte pas aujourd’hui je ne suis pas certain de pouvoir rassembler une nouvelle fois assez d’énergie pour revenir ici. De l’énergie, je vais en recevoir de toute part...
L’énergie de l’aube. Le soleil rougit l’horizon face à nous. Je suis dans l’espace. J’ai dépassé depuis longtemps mon altitude maximum à savoir le sommet du mont Blanc du Tacul gravi en septembre 2019 avec Olivier et Pascal : 4248m. À présent, et comme me le fait remarquer Olivier, chaque pas est un nouveau record. Nous arrivons à Vallot. Nous passons par le siphon. En ouvrant la porte, au sommet des quelques marches Olivier lève les bras au ciel et crie "salut les gars !". Du coup les applaudissements chaleureux nous accueillent. Energie...
Au fond, il y a une estrade sur laquelle a dormi un groupe de cinq ou six jeunes suisses. On dirait des enfants tellement ils semblent juvéniles dans leurs vingtaines débutantes. Je grelotte et claque des dents. Je mange de mon mélange de graines et trouve au fond de mon sac une pomme, une Pink Lady, qui est un véritable festin à cet instant. Energie...
J’ai toujours froid aux pieds. Je grelotte toujours. Aussi un jeune suisse s’approche de moi et me demande si ça va. Je lui dis que j’ai froid aux pieds et que j’hésite à enlever mes chaussures pour me frotter les orteils. "N’enlève pas tes chaussures. Mets-toi debout fléchit les genoux et tape dessus avec tes mains pendant 30 secondes. Ça va te réchauffer les pieds." J’obéis et ça fonctionne ! En tout cas dans ma tête je n’ai plus froid aux pieds. Energie...
Bref. J’ai mangé ma pomme. Je n’ai plus froid aux pieds. Olivier me pose la question "alors on y va ?" Je réponds bien sûr, je n’ai pas le choix. "On a toujours le choix Guillaume..." Certes, on a toujours le choix et c’est pour ça que c’est bon. Entre-temps les trailers sont arrivés. J’entends juste un des guides dire assez fort comme pour les motiver "je
vous préviens les gars là-haut c’est Verdun". Verdun, à cause du vent annoncé à 80 voir 100 km/h par ceux qui redescendent du sommet nous décrivent. Cette comparaison m’agace un peu. Je pense à ceux de Verdun et particulièrement à mon arrière-grand-père Ernest Garnier qui y était et qui en est revenu plus anti militariste que jamais d’ailleurs. En réaction je pense au contraire que ce n’est que du bonheur qui m’attend là-haut. Energie...
Les jeunes suisses se sont préparés, il nous quittent. Ils font une autre traversée : celle des Alpes par les sommets... Je suis impressionné. Ils ont fait le sommet du Mont-Blanc hier soir, en arrivant du refuge du Requin par les Trois Monts. Ils ont dormi à Vallot, ils voudraient passer par Bionnassay avant de redescendre aux Contamines pour s’y ravitailler. Olivier, au regard du vent fort, leur déconseille. On se salue, ils montent les 3-4 marches pour accéder à la porte. Le dernier de la file se retourne. C’est celui qui m’a donné le truc des genoux contre le froid aux pieds. Il se retourne, redescend les marches, vient jusqu’à moi, pose ses mains sur mes épaules, me regarde droit dans les yeux et du haut de ses 20 ans me lance "tu vas y aller !".
Quatre mots. Une énergie folle. Une émotion gigantesque. Je retiens mes larmes. Je lui dis merci. Il me tape l’épaule et repart. Quelle rencontre... Quelle énergie !
Je mets mon sac sur les épaules. Un bâton, mon piolet. Masque de ski. Gore-Tex intégrale (veste et pantalon). Je n’ai plus froid...
- Combien de temps pour le sommet ?
- Moins de deux heures me répond Olivier.
Nous mettrons 1h45.
Au dernier moment, j’enlève mon sac, le rouvre. Olivier est surpris. Je plonge ma main dans ce sac presque vide à présent puisque je porte tout sur moi et je sors un sticker Gays Friday que je colle près de la fenêtre. Olivier sourit. Il me dira plus tard qu’il est à ce moment-là, certain de ma lucidité.
À partir de ce moment-là, je suis en route pour le sommet du mont Blanc. Je suis dans un scaphandre, perméable à la beauté, aux émotions, aux énergies. J’avance sur l’arête mythique des bosses. Rien ne m’empêchera d’aller au sommet, même pas moi. L’horloge est formelle, nous avons mis 1h45 pour faire le trajet entre Vallot et le sommet. Quand j’y pense aujourd’hui ça a duré dans mon esprit 10 à 20 minutes. Je me souviens de mes pensées pour ma famille, pour mes aïeux que je convoque, que j’invoque, des paysages grandioses, du vent.
Je suis dans l’Espace. L’Aiguille du midi est un petit rocher. Je ne suis pas essoufflé, je n’ai pas mal aux cuisses. Mon cœur est calme. Il fait son travail. Il a dû au moins tripler de volume. Les globules fabriqués sur l’arête des Lanchettes avec Brice et Augustin, puis à Torino seul dans mon dortoir avec le cafard, et bien ces globules sont là ! Ils remplissent leur rôle à la perfection. Et puis il y a surtout Olivier, il est devant, il m’ouvre la voie, je le suis, il me guide et je comprends à ce moment-là toute la valeur de ce mot.
Une crevasse énorme barre l’arête après la seconde bosse. Elle oblige la trace à bifurquer à 90° dans la face nord sur 150 m environ pour l’éviter. Olivier me prête son masque de ski car bêtement j’ai pris le vieux masque Decathlon qui gel à l’intérieur. Je me souviens avoir croisé trois ou quatre cordées de militaires espagnols qui descendaient. Je suis heureux car je ne me focalise pas sur le sommet, je profite de chaque pas, de chaque respiration, de chaque regard.
Et puis, enfin, je reconnais l’arête sommitale la pente s’adoucit. Je pense voir Olivier, qui marche 15 m devant moi, au sommet de ce plat. Il continue pourtant. Je me dis qu’il doit y avoir un ressaut. Olivier s’arrête il est plus bas que moi. Il se retourne. Il n’y a plus rien au-dessus de moi.
Je comprends.
J’y suis...
Je suis au sommet du Mont Blanc.
4810 m.
4807 dans ma tête d’enfants.
Il est 7h40 en ce lundi 20 juin.
Je pleure, bien sûr, de grosses larmes.
Je hurle les bras tendus vers le ciel.
Je jubile.
Je sens la montagne en dessous de moi, sous mes pieds. Je n’aurai qu’un seul regret. Celui de ne pas avoir regardé le ciel au-dessus de moi. Pour voir si j’étais vraiment dans l’espace.
Je prends Olivier dans mes bras. Je pleure comme un enfant sur son épaule. Des grosses larmes, de gros sanglots. Je lui dis merci. Merci de m’avoir amené, mené jusqu’ici.
Je pense aux précédentes tentatives avortées à cause de la météo. Je comprends que c’était nécessaire pour acquérir de l’expérience et encore savourer davantage ce moment magique. J’enlève mon gant droit pour prendre des photos, filmer ce moment. Puis j’appelle Arnault, lui qui a m’a amené à 4000 m en juin 2014, il y a huit ans au Grand Paradis. Ce sommet je le vois maintenant vers l’Est.
Ça sonne. La 4G est au sommet. Il décroche tout de suite. Il comprend. "Tu y es !".
Oui, j’y suis. Je pense tellement à toi.
Félicitations, c’est énorme. Bravo c’est colossal.
Merci. Je t’embrasse.
Puis bien sûr j’appelle Aurélie, ma chérie et à travers elle mes enfants adorés. Je l’appelle mais je crains qu’elle ne décroche pas (comme souvent). Je me suis trompé, elle décroche.
Allô my love ? J’y suis. (Je pleure).
C’est énorme mon amour je suis au sommet du Mont-Blanc. Le fait de m’entendre prononcer cette phrase pour la première fois ne fait qu’augmenter mon émotion.
Bravo mon chéri, nous sommes très fiers de toi.
Je vais raccrocher mon amour car j’ai très froid aux doigts. Je te rappelle des Cosmiques. Je t’aime.
Moi aussi je t’aime.
Je raccroche et je profite de ce moment. Je suis au sommet du Mont-Blanc. L’Aiguille du Midi est un petit rocher 1000 m sous moi. Je vois l’Italie, le Maudit, le Tacul et tout le massif du mont Blanc. Nous voyons par moment le Brévent car le vent fait naître un nuage côté Chamonix qui nous empêche de voir la vallée. Je jette un œil vers le nord-ouest sachant qu’au-delà du Jura et de la plaine de Saône il y a la rue de Bel Air d’où je guette le Mont-Blanc le matin en partant travailler. Nous nous installons quelques minutes de plus, juste sous l’arête sommitale, dans la face Nord. Le vent ne nous atteint plus, nous pouvons discuter tranquillement.
"Fais-nous la photo de Lachenal du sommet de l’Annapurna."
OK. Je prends la pause, je ne me souviens plus de quel côté il tient son piolet pour tendre le petit drapeau français.
Olivier rigole et me dit : "Il a ramassé Lachenal !"
Les trailers arrivent à leur tour au sommet. On les salue de la main et on continue. Olivier, dans son compte rendu, écrira :
"Qu’avons-nous fait une fois au sommet ? Nous avons continué." C’est magnifique d’envisager les choses de cette manière. Cela me fait me promettre que dorénavant et si c’est possible je souhaiterais toujours faire des traversées et ne pas faire demi-tour.
À présent c’est la voie des Trois Monts qui m’attend, qui m’impressionne déjà.
Le début de la descente est un régal. Nous croiserons un couple qui monte au sommet, la vue est splendide vers le cœur du massif. Première difficulté : le mur de la côte. La trace est parfaite mais très raide et gelée. Le vent est toujours là. Nous le prenons par rafale à chaque col.
Autre lieu mythique, le col de la Brenva. Arrivés au pied du Maudit Olivier me l’indique en me disant qu’il n’est pas loin. Seulement 170 m de dénivelé. Est-ce une invitation ? Mais quoi qu’il en soit je lui dis que nous allons nous en tenir au plan. Je crains que les forces me manquent à la fin. Dernière rimaye et nous voilà au col du mont Maudit. Une pente vertigineuse nous tend les bras.
Olivier me dit qu’il n’a jamais vu d’aussi bonnes conditions sur les Trois Monts et que dans cette pente j’ai le droit de me retourner pour descendre. Il m’assure avec son piolet planté dans la neige. La descente très raide ne dure pas très longtemps. Arrivés à la base rocheuse du Maudit, il faut se remettre en marche avant et descendre une belle trace avec de belles marches en neige dure. Le piolet main droite utilisé comme une canne que je plante jusqu’à la garde dans la neige pour me faire une rampe mobile. La descente du Maudit est concentration.
Pas le temps d’avoir peur, pas envie, je suis bien trop concentré. Une nouvelle fois, je suis dans le mythe. Je suis en train de descendre la face nord du mont Maudit. Descente bien raide, passage sous les séracs, le vent est déjà chaud. Une fois la descente du maudit effectué, la pression descend d’un cran. Il reste le Tacul à passer.
Le Tacul je l’ai descendu en 2019 avec Olivier et Pascal. Je suis donc en terrain connu. Au final, cette descente est impressionnante et va m’user physiquement. Belle trace en zigzague au départ puis les séracs tombés la semaine précédente rendent la face compliquée. Il faut se trouver un chemin à travers les blocs de neige et de glace. Du coup ça descend raide. Je me fatigue beaucoup car j’enfonce une fois sur trois. Arrivé aux deux tiers de la face je dis adieu à l’élégance et demande à Olivier si je peux descendre en ramasse Olivier accepte il me mouline avant de me rejoindre après chaque longueur.
Et puis vient le moment où je lâche calmement à Olivier, "J’en ai vraiment plein le cul." "C’est bien Guillaume que tu le verbalises." Quel manager ce guidos !
Nous arrivons enfin au pied de la face. Histoire de se mettre vraiment à l’abri des chutes de séracs nous avançons d’une bonne centaine de mètres sur cette grande étendue plate qu’est le col du Midi. Nous buvons et je réalise que nous y sommes presque.
Il reste la remontée au refuge environ 150 m de dénivelé. Cette remontée je m’en souviens bien car en 2019 nous en avions bavé avec Pascal. Olivier me gère bien nous montons vraiment à un train de sénateur. Nous arrivons enfin au refuge. J’aime tellement ce moment. Il est 12h20. Voilà 12 heures que nous sommes partis. Je suis fatigué, trempé de sueur, mais heureux. J’ai réalisé un rêve. J’arrive du refuge Gonella, je suis passé par le Mont-Blanc et descendu par les Trois Monts en 12 heures. 12 heures dans le mythe. Quel bonheur. Nous nous présentons à la gardienne.
"Bonjour nous avons une réservation pour ce soir au nom d’Olivier Dufour.
- Dufour, attendez je regarde. Oui deux personnes et vous arrivez de Gonella. Gonella ? Elle regarde sa montre interloquée.
- Vous êtes déjà là ??! La semaine dernière une corde de deux Allemands a fait la traversée depuis Gonella ils sont arrivés moulus à 18h."
Avec un grand sourire je lui réponds que nous ne sommes pas allemands nous sommes juste bourguignons. Olivier ajoute que nous sommes habitués à de bonnes bambées dans nos combes. Elle nous indique nos dortoirs respectifs. Je lui demande s’ils vendent des T-shirts pour me sentir un peu au sec. C’est le cas.
Quelques minutes plus tard mon sac est au pied de ma couchette. Mes affaires sèchent. Je porte un beau T-shirt noir du refuge des Cosmiques et je m’installe en face d’Olivier devant une splendide omelette au Beaufort bien baveuse accompagnée d’une bonne bière. Un fondant au chocolat et un Génépi viendront conclure ce repas de roi. Puis dans une douce torpeur viendra la sieste réparatrice...
Mon Dieu que j’aime ce moment...Ces après-midis au refuge une fois la course accomplie. Même là-haut, obligé de faire la police avec deux jeunes qui sont en stage Mont-Blanc et regardent des vidéos YouTube le son à fond en rigolant et en les commentant. Je leur explique gentiment mais fermement que le dortoir du refuge est un lieu de silence... 44 ans et déjà vieux con. Mais j’ai besoin de ce sommeil.
Après une heure de sieste, je redescends dans la grande salle, puis sur la terrasse ou je reçois un peu de 4G ce qui me permet de téléphoner et d’envoyer des photos. Je me régale de la vue depuis cette terrasse. Olivier me rejoint bientôt et nous rions ensemble, heureux de notre accomplissement de ce matin. Nous dînons avec un guide de Megève et sa cliente. C’est Thierry, que je retrouverai le 18 août 2022 lors de la sortie canyoning que nous ferons en famille à Magland. Épuisé, je vais me coucher alors qu’il fait encore jour. Le réveil de demain est à 4h. Une grasse matinée comparée à ce matin.
Mardi 21 juin
Nous prenons notre petit déjeuner en silence car une des gardiennes dort sur la mezzanine au-dessus du réfectoire. Nous nous équipons rapidement et à 5h06 précises nous nous engageons, encordés, pour cette traversée de la Vallée Blanche qui nous ramènera au refuge Torino en Italie. Le vent n’ayant pas faiblit, les bennes ne montent pas du Plan de l’aiguille. Personne ne viendra donc de la vallée pour nous déranger. La majorité des alpinistes présents au refuge se dirige vers le Mont Blanc ou le Tacul. Certains vont faire l’arrête à Lolo ou celle des Cosmiques. Les autres, ceux qui souhaitent redescendre à Chamonix attendront la reprise des rotations. Ce sera pour plus tard cet après-midi, voire demain matin.
Nous sommes donc deux à entreprendre cette traversée sans encombre. Olivier profite de cette promenade pour passer dans les crevasses au pied du Grand Capucin. Nous apercevons une cordée de deux alpinistes qui se dirige vers ce pilier de granit pour y faire une des nombreuses voies. Vu également une autre cordée qui se dirige vers les Cosmiques. À l’approche de l’Italie nous commençons à chanter toutes les chansons que nous connaissons qui parle de ce beau pays. Celle qui a notre préférence est la chanson de Nicole Croisille : "il est gai comme un italien quand il sait qu’il aura de l’amour et du vin".
Les cordées qui sortent de Torino pour une première initiation sont crispées, elles sont interloquées de croiser deux hommes heureux chantant à tue-tête. En voyant le sommet du toit du refuge apparaître je hurle : ITALIA ! Le col du Grand Flambeau est bien crevassé, aussi Olivier me dit que j’ai bien fait de ne pas m’y aventurer seul vendredi dernier...
Nous arrivons au refuge Torino et devons attendre la première benne pour descendre. Il est à peine sept heures. C’est un cappuccino avec une saveur particulière qui m’accueille dans ce refuge que je connais bien maintenant, je repense à moi qui était assis dans cette salle il y a trois jours. Mon état d’esprit n’était pas du tout le même. L’anxiété a fait place à la fierté et au sentiment du devoir accompli.
Nous gagnons la gare du téléphérique où nous rencontrons une française qui pensait pouvoir traverser la vallée blanche en bennes panoramiques puis redescendre en benne à Chamonix depuis l’aiguille du midi. Bien sûr tout est fermé. Elle doit travailler à Chamonix à 10 heures, nous lui proposons donc de lui faire profiter de notre véhicule. Au final elle fera du stop pour rentrer à Chamonix car une fois en bas, il reste encore une mission : récupérer le VW. Plutôt que de remonter à deux une route goudronnée sur 5 km avec 400 m de dénivelé, je loue un VTT électrique pour cinq euros et le plus léger (Olivier) part chercher le Volkswagen pendant que le plus costaud (moi) garde les sacs.
Olivier est de retour 45 minutes plus tard avec le vélo dans le coffre. Au passage, le vélo étant géolocalisé j’ai pu suivre sa progression. Lorsqu’il a mis le vélo dans le coffre j’ai reçu une alerte "attention chute !". Nous passons le tunnel sans encombre. Je repose Olivier aux Houches où il récupère sa voiture. Nous nous quittons heureux. Je rentre à Praz en écoutant...Nicole Croisille.
Arrivé à destination je m’arrête à la pâtisserie où j’achète le gâteau le plus sucré et le plus gras disponible. J’ai une faim de loup. J’arrive à l’appartement, je mange, je prends une bonne douche et je fais une sieste d’une bonne heure.
Le camion chargé, je quitte Praz à 14h. J’ai hâte de rentrer chez moi, d’embrasser Aurélie et les enfants. Je redoutais de m’endormir au volant. Ce n’est pas le cas. Je passe par l’A40 jusqu’à Mâcon puis l’A6. J’arrive à Dijon vers 17h20 heureux. Je serai à l’heure pour l’audition de hautbois de Rose. Je raconte à Aurélie mes premières impressions je ne peux retenir mes larmes...
Une partie de moi est encore là-haut et j’espère pour longtemps.
Merci Olivier.
"Les montagnes ne vivent que de l'amour des hommes. Là où les habitations, puis les arbres, puis l'herbe s'épuisent, naît le royaume stérile, sauvage, minéral ; cependant, dans sa pauvreté extrême, dans sa nudité totale, il dispense une richesse qui n'a pas de prix : le bonheur que l'on découvre dans les yeux de ceux qui le fréquentent"
Gaston Rebuffat